mercredi 12 février 2020

La tentative Blogger 63

"Infinita tristeza", la chanson de Manu Chao provoque en moi l'état d'esprit le plus proche de ce que je ressens lorsque je revois une BD de Vaughn Bodé. Ce subtil métissage de Disney avec l'Art nouveau, la sexualité sous-jacente en plus; quel talent, quel ton, quel style, quelles possibilités anéanties, que d'espoirs morts dans l'œuf, quel triste retour à la réalité, les légendes ont presque toujours un goût amer. Bodé en est une caricature. Il ne fait pas partie du club des 27 (morts d'overdose à 27 ans ou presque: Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Brian Jones, Kurt Cobain et bien d'autres) mais il est mort encore plus connement, à 33 ans (âge du Christ), en s'auto-étranglant avec une machine faite pour ça qui théoriquement devait relâcher la strangulation avant l'asphyxie. Quand on s'est fait le chantre d'une sexualité tous azimuts, on pouvait s'imaginer que l'érection ultime des pendus méritait être essayée et peut être même affinée. Les fabrications humaines ont leurs caprices plus que les stars et Vaughn Bodé en a fait l'expérience. Définitive.
Reste le chemin accompli : les centaines de planches, dessins, illustrations ici et là, et surtout un souvenir vivace d'une époque où on rêvait de reconstruire un monde bien meilleur, en s'affranchissant des erreurs de nos pères. On allait réinventer l'amour sans la guerre, le plaisir sans contrepartie douloureuse, l'amitié sans fin et on a échoué comme les autres générations pour tomber dans une normalité plus ou moins anodine, une certaine infinie tristesse.
Vaughn Bodé a peu été traduit en France et seulement deux albums sont parus dans ma période 70-90.
Le 30 x 40 Bodé, chez Futuropolis, en 1975, pierre tombale appelé sobrement "Salut!", paru quelques mois après sa mort avec un beau format mais malheureusement en noir et blanc comme les autres de cette série et qui est presque un contresens par rapport au travail artistique de son auteur. Il faut relativiser toutefois, Vaughn Bodé était un auteur 'underground', publié dans des 'comix' et donc bien souvent en noir et blanc excepté la couverture. 

couvertures du 30 x 40 Bodé ©1975 Futuropolis et Erotica ©1983 Neptune

L'autre album est celui publié par Neptune/Fershid Bharucha "Erotica", en 1983, tout en couleurs, mais un peu décevant parce qu'il contient énormément de mini histoires déjà parues dans le 30 x 40. Il devait y avoir 8 tomes au total mais un seul a vu le jour. Il y a eu aussi "Cobalt 60", publiée dans un des premiers Métal Hurlant, en 1975, quelques pages de "Cheech Wizard", en 1984-85, dans "Epic", mis en couleurs par son fils, Mark Bodé. Quelques pages également, dans Pilote mensuel, en 1975 et quelques couvertures en collaboration avec Larry Todd pour Creepy et Vampirella, en 1974-1976. En 1972, Nicolas Devil sortait un album fleuve, très grand format et papier journal, chez La Marge Kesselring, titré "Orejona" qui se présentait comme un manuel de savoir-vivre (ou penser) de la contre-culture à destination des nouvelles générations. Il incluait des BD et dessins de l'underground américain (la Free Press) dont pas mal de dessins de Vaughn Bodé. Souvent ils étaient associés à des citations de philosophes sans grand rapport avec la motivation de Bodé pour produire ce genre d'image. En 2013, est paru en français "Das Kämpf" chez l'éditeur 'Aux forges de Vulcain', son premier album (1961). Je ne le connais pas.
Alors relire Bodé aujourd'hui, c'est un peu comme réécouter "Purple Haze" ou "Machine Gun" d'Hendrix,  "Summertime", "Piece of my Heart" de Janis Joplin, ou encore "Break on thru" ou "The Celebration of the Lizard" de Morrison. Ça fait un plaisir fou, c'est toujours bien, ça rappelle plein de bonnes choses et puis merde, on se rend compte qu'on a, toutes générations confondues, à jamais raté le coche!
Pour cette fois, voici les vingt pages communes aux deux albums français du siècle dernier. Les autres seront pour d'autres fois.

Erotica ©1983 Neptune - page 5 - Da Prophet - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 8

Erotica ©1983 Neptune - page 8 - Climbing A Broad - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 10

Erotica ©1983 Neptune - page 11 - Food Stuffs - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 7

Erotica ©1983 Neptune - page 13 - Tit Troop - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 9

Erotica ©1983 Neptune - page 14 - I is free - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 38

Erotica ©1983 Neptune - page 22 - Rape - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 6

Erotica ©1983 Neptune - page 23 -  U.22 - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 22

Erotica ©1983 Neptune - page 25 - Bombing - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 31

Erotica ©1983 Neptune - page 26 - Self - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 23

Erotica ©1983 Neptune - page 28 - Whorse Soldiers - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 16

Erotica ©1983 Neptune - page 32 - River Meat - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 14

Erotica ©1983 Neptune - page 34 - P. O. W. - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 17

Erotica ©1983 Neptune - page 35 - Liberty - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 21

Erotica ©1983 Neptune - page 37 - Nova.1 - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 32

Erotica ©1983 Neptune - page 38 - Space Bed - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 35

Erotica ©1983 Neptune - page 40 - Ego Trip - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 37

Erotica ©1983 Neptune - page 41 - Moon Talk - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 33

Erotica ©1983 Neptune - page 43 - Hog Baby - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 29

Erotica ©1983 Neptune - page 44 - Mother - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 25

Erotica ©1983 Neptune - page 46 - Dino Sex - 30 x 40 ©1975 Bodé-Futuropolis - page 27

samedi 8 février 2020

La tentative Blogger 62

Aujourd'hui, on se sert d'une BD de Breccia, d'un dessin de Liberatore, d'une parodie de F'murr et d'un hommage de Crepax, pour parler d'Hugo Pratt et de Corto Maltese que vous trouverez facilement dans vos pharmacies habituelles.

Fantastik n° 7 - Charlie mensuel n° 95 - Les meilleures histoires de Pilote 1970 - Liberatore, portrait de la bête en rock star

En août dernier, j'avais présenté dans "L'aventure facebook 48" un conte de fée adapté par Carlos Trillo et Alberto Breccia, c'était "Le petit chaperon rouge". La technique plastique était un collage de papiers déchirés et c'était paru dans "Chic" n° 7 en 1985 et daté par Breccia en dernière page 1980.
Quelques années précédentes, en 1982, dans "Fantastik" (toute la fantaisie de la BD) n°7 de janvier, on trouvait un autre conte de Breccia/Trillo, daté lui de 1979, "Blanche Neige" qui était lui aussi un collage en papiers découpés et retouches de peinture. Ce n'était pas des morceaux de canson coloré déchiré à la main mais des morceaux découpés soigneusement dans des photos de magazines, de décoration intérieure et surtout d'ouvrages de broderies, tricots et dentelles. Tous ces morceaux hétéroclites étaient assemblés savamment et combinés à des taches d'encre ou d'aquarelle pour donner des personnages, décors et ambiances particulièrement artistiques.
Dans l'adaptation, les sept nains avaient des looks empruntés à des personnages connus comme W. C. Fields, Laurel et Hardy pour le burlesque, le Yellow Kid et Corto Maltese pour la BD, je ne reconnais pas les deux autres mais je pense qu'ils doivent être des personnalités argentines de l'époque. C'est parti pour quatorze pages très Arts Plastiques
Hugo Pratt, le père de Corto Maltese était un très grand ami d'Alberto Breccia et je pense que ce clin d'œil à son personnage le plus célèbre était une manière de rendre hommage à son amitié.

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 35 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 36 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 37 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 38 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 39 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 40 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 41 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 42 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 43 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 44 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 45 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 46 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 47 - Blanche-Neige

Fantastik n° 7_janvier 1982 - page 48 - Blanche-Neige

Du coup, je me suis souvenu d'autres hommages et parodies faites à Corto Maltese. Rappelez-vous ici même, de Massimo Mattioli dans Pif Gadget n°133 où M. le magicien tombait physiquement dans les pages de Corto Maltese  (post La tentative Blogger 44). Parfois elles peuvent être assez inattendues comme celle de F'murr dans Pilote mensuel, en 1977 (numéro 37 bis de juin 77) avec un Porco Balèse particulièrement réussi où apparait Hugo Pratt en personne dessiné dans le style Pratt pour ne rien gâcher.

Pilote mensuel n° 37 bis_1977 - page 19 - Les meilleures histoires de Pilote © 2002 Dargaud-F'murr - page 41

Pilote mensuel n° 37 bis_1977 - page 20 - Les meilleures histoires de Pilote © 2002 Dargaud-F'murr - page 42

Pilote mensuel n° 37 bis_1977 - page 21 - Les meilleures histoires de Pilote © 2002 Dargaud-F'murr - page 43

Pilote mensuel n° 37 bis_1977 - page 22 - Les meilleures histoires de Pilote © 2002 Dargaud-F'murr - page 44

Pilote mensuel n° 37 bis_1977 - page 23 - Les meilleures histoires de Pilote © 2002 Dargaud-F'murr - page 45

Pilote mensuel n° 37 bis_1977 - page 24 - Les meilleures histoires de Pilote © 2002 Dargaud-F'murr - page 46

L'image unique de Liberatore avec Cush qui vient de décapiter Corto, dans un style particulièrement réaliste pour son genre, n'est pas mal du tout.

Liberatore Portrait de la bête en rock star © 1985 Aedena-Albin Michel - pages 40 et 41 - Corto Maltese et Cush 1981

Pour ce qui est de Guido Crepax, il s'agit de deux planches de Valentina qui datent de 1976 dans le chapitre "Valentina dans le métro" parues en France dans Charlie mensuel depuis septembre 1976 et jusqu'en février 1977 (numéros 92 à 97) et qu'on peut également trouver dans l'album "Valentina assassine" édité par Futuropolis. Caractéristique et même unique dans la production fleuve de Crepax, les planches de "Valentina dans le métro" sont d'un format carré : Futuropolis choisit de les disposer sur le bord gauche du livre (il faut tourner l'album pour la lecture) sachant que de toutes façons, les textes sont écrits dans des sens différents tout au long de l'histoire. Je vous mets ici le sens vertical habituel comme il a été publié dans Charlie mensuel avec deux grandes marges blanches en haut et en bas. De plus, l'épisode se présente, surtout toute la fin, comme un hommage aux maîtres de la bande dessinée que Crepax admire.

Charlie mensuel n° 94_novembre 1976 - page 12 - Valentina dans le métro - Valentina assassine © 1986 Futuropolis - page136

Charlie mensuel n° 94_novembre 1976 - page 13 - Valentina dans le métro - Valentina assassine © 1986 Futuropolis - page 137

Charlie mensuel n° 94_novembre 1976 - page 14 - Valentina dans le métro - Valentina assassine © 1986 Futuropolis - page138

Charlie mensuel n° 95_décembre 1976 - page 14 - Valentina dans le métro - Valentina assassine © 1986 Futuropolis - page139

Charlie mensuel n° 97_février 1977 - page 8 - Valentina dans le métro - Valentina assassine © 1986 Futuropolis - page168

Charlie mensuel n° 97_février 1977 - page 9 - Valentina dans le métro - Valentina assassine © 1986 Futuropolis - page169

Pour tous ceux que les catalogues ne font pas fuir, voici un survol de l'intégralité des hommages successifs de Crepax dans "Valentina qui rêvasse dans le métro".
Ça commence par 'Monsieur' Giussani (en fait les sœurs Angela et Luciana Giussani) et de leurs héroïnes dans la série "Diabolik", puis par Wolinski et Pichard et leur ingénue "Paulette". C'est suivi par l'hommage à Hugo Pratt à travers Corto Maltese (planches 36 et 37), on poursuit avec Jean-Claude Forest et "Barbarella" (planches 39 et 39) et puis on passe à Alex Raymond et "Flash Gordon" (Guy l'éclair chez nous) avec apparition de l'empereur Ming. Il y a ensuite Phil Davis et Lee Falk avec un hommage hybride "Mandrake" et "Dracula", puis Chester Gould avec "Dick Tracy", encore Lee Falk et Ray Moore pour "Le fantôme du Bengale", suivi par Stan Lee et Cie avec ses "X-men", La Torche, La Chose, etc. Deux autres planches en hommage à Alex Raymond et son "Prince Vaillant", une pose avec la reprise d'un de ses propres personnages "Bianca", on reprend avec Milton Caniff et "Terry et les pirates", puis Burne Hogarth avec "Tarzan", deuxième pose avec "Anita", une autre de ses héroïnes. Il y aura aussi Guy Pellaert avec "Pravda-Françoise Hardy", et le bondage avec "Gwendoline" de John Willie, le sadomasochisme de Michael O'Donoghue et Frank Springer à travers "Phoebe Zeit-Geist" et Enric Sio et "Mara" et on termine la collection par … je vous le donne en mille : Alberto Breccia et son "Mort Cinder".
Ce n'est plus de l'amour, c'est de la rage! 



P. S. : La réalité est un peu forcée dans mon catalogue d'hommages. En vrai, Breccia est l'avant-dernier de la liste, le tout dernier est Windsor Mc Kay avec son "Little Nemo in Slumberland" qui se réveille en tombant du lit tous les matins. Je trouve que c'est une chute un peu trop facile qui n'est pas digne de Crepax. Tout cela en fait n'était qu'historiettes imprimées sur un journal abandonné.
A chacun ses rêves!


Petit bonus pour les lecteurs assidus et jusqu'au-boutistes, quelques hommages supplémentaires trouvés sur internet de Crepax et d'autres (voir légendes un peu sommaires)

Valentina-Corto smoking

Valentina et Corto à Venise
Valentina  et Corto, une planche en V. O.


© 2018 Jordi Bernet - Torpédo et Corto


Hommage à Corto par Jacques Ferrandez, aquarelle 24 x 31,5 cm

Hommage à Corto par Gwendal Lemercier, peinture couleurs directes, 30 x 42 cm,  2017