Affichage des articles dont le libellé est photomontages. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est photomontages. Afficher tous les articles

mercredi 14 juin 2023

El Topo d'Alejandro Jodorowsky

"Mes toiles-étoiles" ou "le cinéma et moi, et mois : émois"

N°3 : "El Topo" film de Alejandro Jodorowsky, 1970

En septembre 1971, mon Bac en poche, je quittais Toulouse pour Marseille-Luminy et la Fac d'Arts Plastiques. Mes parents venaient de déménager sur Cannes et je les rejoignais sur la Côte d'Azur le weekend alors que le reste de la semaine j'avais mes quartiers à la Cité U. J'avais un abonnement pour le train. En mai 1972, ce fut mon premier Festival de Cannes : mes premières queues à la Malmaison pour venir retirer des bons pour aller voir des films en compétition parallèle ou même sans compétition mais offerts généreusement à la sagacité de tous les amoureux des images qui bougent dans les salles des cinémas de la rue d'Antibes et des rues avoisinantes. Les films en compétition passaient au Palais des Festivals, l'ancien, pas le bunker. Je ne demandais pas des bons pour ces films là parce qu'il fallait avoir la tenue, entendez le smoking et le nœud papillon et moi, je crois que j'ai toujours été un peu allergique à la cravate et au costume. Le retrait des bons se passait quelques jours avant, c'était gratuit et on postulait sans trop savoir au juste ce qu'on allait voir. C'est dans ces conditions hasardeuses que j'ai vu des films dont je n'ai plus jamais entendu parler après. Je faisais des va et vient entre les gares de Cannes et Marseille Saint-Charles parfois deux fois dans la même journée pour assurer d'un côté mes UV en Arts Plastiques  et de l'autre assouvir mon désir d'images.

J'avais demandé une place pour "Imagine", un film documentaire de John Lennon et Yoko Ono sur la création des chansons de l'album du même nom, j'étais un fan des Beatles et particulièrement de John Lennon depuis des années. Au même programme, il y avait un autre film, celui d'un chilien inconnu pour moi : Alejandro Jodorowsky. Il s'agissait d'El Topo (La Taupe) et il était vendu comme un  western spaghetti con carne tourné au Mexique deux ou trois ans auparavant.

Parait-il qu'El Topo avait fait scandale à sa sortie à New York parce que son auteur se vantait d'y avoir pratiqué et filmé un vrai viol. Moi, je n'en avais absolument pas entendu parler et c'est en toute innocence que je m'apprêtais à voir un western. L'ambiance dans ces salles de projection était assez particulière : c'était un vaste capharnaüm. Comme les spectateurs n'avaient pas payé leur place, ça entrait, ça sortait à tous moments de la salle, ça parlait fort et souvent stupidement comme tout bon cinéphile qui se respecte, ça spoliait à qui mieux mieux mais c'était tout de même du cinéma. Etrangement, l'avant programme avait réussi à calmer tous ces excités. C'était un court métrage artistique de Yoko Ono très bref, il débutait par un gros plan sur une poitrine féminine en soutien-gorge, le soutien tombait et la gorge déployait sa généreuse mollesse qui ballottait de droite à gauche pendant deux à trois minutes, des seins oblongs comme deux œufs de seiches agités par la houle. Certains connaisseurs prétendaient que c'étaient ceux de Yoko elle-même, je n'avais pas cette culture mais ces images sont encore gravées dans ma mémoire. Par contre, je ne me souviens plus si c'est "El Topo" ou "Imagine" qui a suivi le court métrage.

Les premières images d'El Topo donnaient le ton, un cowboy vêtu de noir sur un cheval noir avec un parapluie noir dans un désert de sable bien clair avec un ciel bien bleu et caché derrière lui un enfant nu, ils font une halte et l'enfant enterre son nounours et un portrait de sa mère. Suit un diaporama qui annonce la philosophie symbolico-mystico-religieuse qui va infuser tout le film et même toute l'œuvre de Jodorowsky, tout en expliquant le pourquoi du titre. Et les images choc vont se succéder à un rythme soutenu tout le long du film : des péones massacrés en haut des arbres, des chevaux et du bétail éventrés, des mares de sang, des pendus, des morts partout. Il y a des méchants cruels et stupides, handicapés ou mutilés, toute une cour des miracles d'équipages improbables, des maîtres-gourous pistoleros, des iguanes, des lapins, des moines en chapeau-melon, des rombières, des stripteaseuses voyageant en cercueil, des naines, des hirsutes, des chevelus, des barbus, des crânes rasés…

J'avoue que les délires ésotériques et religieux de Jodorowsky n'ont jamais été ma tasse de thé mais je dois le reconnaitre, les séquences qu'il met en scène sont particulièrement mémorables et ne finiront qu'à la toute dernière image, une tombe-ruche avant la taupe du générique qui boucle le cauchemar.

"Imagine", le documentaire sympa de Lennon où on le voit composer ses morceaux sur un piano blanc dans une riche maison toute blanche était bien fade en comparaison. Mais Lennon avait été complètement séduit par l'imaginaire de Jodorowsky, il financera son film suivant "La montagne sacrée" qui sortira sur les écrans en 1973 et que je ne manquerais pas d'aller voir à Marseille avec les copains de Luminy. C'était une sorte d'El Topo survitaminé.  El Topo sera invisible pendant de longues années, suite au différend qui opposait le producteur au metteur en scène et j'ai été content de le retrouver en dvd en 2007-2008 pour vérifier mes souvenirs. Je n'ai pas été déçu.

Tout le monde connait le parcours de Jodorowsky, son enseignement du Tarot, son "Dune" pillé par Hollywood, son passage flamboyant à la bande dessinée : "L'Incal", les "Technopères", le "Lama Blanc", "Bouncer", "Alef-Thau", etc… En 2016, Jodorowsky revient vers "El Topo" et scénarise une bande dessinée avec José Ladrönn au dessin qui est une suite du film. On y retrouve les mêmes personnages et en particulier un homme en noir incarné par un Jodorowsky jeune (comme dans le film), des méchants minables particulièrement violents, des femmes plantureuses et spici, des monstres (comme dans le film) et toujours ce délire pseudo religieux, syncrétique et symbolique qui est son image de marque : les trois volumes se nomment Caïn, Abel  et Abelcaïn, la messe est dite. Tout est dans tout depuis la nuit des temps et Dieu pour tous, la ligne de réflexion des années 70 se prolonge jusqu'à l'image finale : cavalier filant dans le soleil couchant escorté par des papillons – on est bien dans du pur Jodorowsky.


.







"Les fils d'El Topo" 1. Caïn © 2016, 2. Abel © 2019, 3. Abelcaïn © 2022 ABKCO Films/Glénat Editions.

"Imagine", le film de John Lennon et Yoko Ono de 1972. Il sera remanipulé et intégré dans un autre film du même nom par Andrew Solt en 1988.

Je n'ai jamais retrouvé la courte vidéo de Yoko Ono accompagnant les films "Imagine" et "El Topo", mais je mets quelques autres performances filmées de la même veine qui ont fait sa célébrité. "War is Over" avec John Lennon : images du couple nu, "Cut piece" de 1964 et "Flux Film N°4 - Bottoms" avec une chorégraphie de fesses qui est une de  ces œuvres les plus célèbres.

Deux autres œuvres célèbres plus récentes de Yoko Ono. "My Mummy Was Beautiful", de 2004 mais photographiée en 2013 à la 12° Biennale de Lyon et le crayon et les badges offerts aux visiteurs et "Imagine Peace", de 2003, à la Biennale de Venise avec badge également. Je n'ai pas photographié l'arbre à voeux.

"Les fils d'El Topo" 1. Caïn © 2016 ABKCO Films/Glénat Editions. Les huit premières pages pour voir à quoi ça ressemble.









"Les fils d'El Topo" 2. Abel © 2019 ABKCO Films/Glénat Editions. Les 10 premières planches.













"Les fils d'El Topo" 3. Abelcaïn © 2022 ABKCO Films/Glénat Editions. Les 9 premières planches.























samedi 18 mars 2023

Sans Soleil de Chris Marker

"Mes toiles-étoiles" ou "le cinéma et moi, et mois : émois"

 N°2 : "Sans Soleil" film de Chris Marker, 1982

"Sans soleil", je l'ai vu à Paris en 1983, à l'Action Christine qui était un cinéma d'Art et d'essai dans la rue du même nom. C'était une après-midi grise comme Paris sait si bien les faire. Je crois me souvenir qu'on s'était un peu disputé avec Béa ce jour-là et que le film de Chris Marker nous avait servi de dérivatif. Chris Marker, on le connaissait à cause de sa fiction "La Jetée" mais le côté militant et documentaire du reste de sa production jusqu'alors me semblait fastidieux. Je crois que c'est l'ami Daniel, cinéphile avisé, qui nous en avait parlé et comme souvent sa plaidoirie nous avait conquise. Le film venait de sortir quelques jours plus tôt.

Dès les premières images, le ton était donné, on était happé, inclus dans cet OVNI par la voix lente, énergique et insidieuse de la narration.  Il y était question du bonheur, de coutumes et de pratiques sociales lointaines, du voyage, de l'espace et du temps, des souvenirs et de la mémoire, des pays industrialisés et de sociétés primitives, de croyances et de violence...

La forme plastique elle-même était foisonnante : pseudo films de famille, correspondance d'un ami, documentaires animaliers, portraits esthétisants, extraits de films célèbres, images informatiques, musique électro-acoustique... Et toujours ce récitatif insistant qui unifiait ces éléments disparates, nous ramenait régulièrement à notre propre réflexion sollicitée par les séquences fortes.

J'étais ressorti de la projection, réconcilié avec la vie, enthousiaste et battant, même le ciel me semblait plus coloré. Je l'ai revu quelques années plus tard à partir d'une cassette VHS puis en DVD, et c'était toujours aussi géant, comme la première fois.

Dans les années 2000, j'avais adopté une sorte de tradition, à chque veille de vacances scolaires de Noël, celle de passer un film ou des courts métrages aux élèves fatigués en fin de trimestre. Je choisissais toujours des choses qui m'avaient marqué et "Sans soleil" était un de ces phares que j'ai dû passer à trois ou quatre promotions d'élèves différentes dans ma carrière. Un jour, j'ai croisé une de mes anciennes élèves devenue à son tour professeur en arts appliqués. Elle avait dû beaucoup changer physiquement et j'avais du mal à la reconnaitre. Elle m'a avoué qu'elle avait bien aimé mes cours et qu'elle était folle du Japon. Cet amour lui venait d'un film, dont elle avait oublié le nom, que je leur avais passé lors d'une séance au lycée : c'était bien sûr "Sans soleil".

La fréquentation régulière de la bibliothèque L'Alcazar m'a permis pendant des années de voir et revoir, petit à petit, tous les films de Chris Marker précédents ou post "Sans soleil". J'ai également écumé Internet à la recherche de ses courts métrages non édités sur disque ou des captures de l'Ouvroir de Second Life avec son chat orange, Guillaume-en-Egypte. Tous à des degrés divers me rappelaient des préoccupations cristallisées dans "Sans soleil". Ma traque continue encore de temps en temps.

En 2010, les Rencontres d'Arles présentaient à l'église des Frères Prêcheurs la collection de Marin Karmitz où se trouvaient seize photos de Chris Marker. L'année suivante une rétrospective rendait l'hommage mérité à Chris Marker, le photographe, au Palais de l'Archevêché, avec plus de trois cent images. Certains spécialistes de l'école de la Photographie avaient critiqué ses retouches opérées numériquement sur les Coréennes de 1957. Moi, en afficionado inconditionnel, je n'y ai toujours vu que jalousie déplacée.

 

P.S. : Les textes sur les 14 premiers montages sont de Chris Marker évidemment. Ce sont ceux dits par la narratrice, Florence Delay qui évoque les lettres envoyées par Sandor Krasna, un ami caméraman à des milliers de kilomètres de là.















Guillaume en Egypte dans l'Ouvroir dans le monde virtuel de Second Life.

Rencontres d'Arles - Crush-art, 2003,2008,2009 © Galerie Peter Blum, New York,  à l'église des Frères Prêcheurs en juillet 2010, au Palais de l'Archevêché en 2011, derrière et en haut, Passengers en 2011.

Série Les Coréennes, 1957 _page 17, 18, 19 et 20 du catalogue 2011 avec les retouches de 2010.


Flash Gordon par Alex Raymond_pl 2 novembre 1933 Slatkine BD ©1968 + original en couleurs









La Famille Fenouillard au Japon - Christophe 1893 - 7 pages extraites de La Famille Fenouillard © 2010 Armand Colin. 
























Collection Petite Planète N°21 - Japon_couverture et pages 180-181 ©1959 avec la citation de Jean Cocteau à propos de la Famille Fenouillard qui sert d'exergue à Chris Marker pour son film "Le Mystère Koumiko".