"Mes transports pas amoureux mais presque" ou
"Ces mécaniques que j'ai roulées"
N°2 : La BB TS3 Sport 1970 de Peugeot.
Deuxième et dernière "Mob", donc ! Entre temps, comme les motards de la gendarmerie qui allaient toujours par deux, j'avais rencontré mon binôme en classe de Seconde au Lycée Raymond Naves. C'était Vincent. Lui, il avait acheté une Motobécane Spéciale "Orange" neuve et nous faisions tous les jours ou presque, la route jusqu'au lycée Berthelot et d'autres balades quand l'envie nous en prenait et que nos familles nous y autorisaient. C'était fort agréable d'avoir des machines où les bougies ne perlaient que très rarement et puis à deux, l'un ou l'autre avait toujours son outillage dans la selle ou sur le cadre.
Je me souviens que l'hiver avait été particulièrement rude à Toulouse, en 1970, et malgré nos machines fiables et nos énormes gants de cuir fourré, les seize kilomètres avec des températures bien au-dessous de zéro, tétanisaient nos doigts très souvent jusqu'à qu'à la deuxième heure de la matinée. Ce n'était pas beaucoup plus agréable les jours de pluie où il fallait composer avec le temps de séchage.
Et pourtant, nous étions les rois du monde dès que nous étions sur nos montures, et gare aux petits vieux (nos ennemis revendiqués) qui auraient traversé alors que les feux passaient au vert pour nous rue Alsace-Lorraine. On démarrait en faisant rugir nos ridicules petits moteurs et on faisait cabrer sur la roue arrière. C'était difficile et bien plus sportif pour Vincent qui ne tenait son décollage que sur cinquante à soixante centimètres en tirant comme un malade sur le guidon de sa machine trop lourde de l'avant. Pour moi, avec mes vitesses manuelles, c'était limité à une torsion rapide du poignet, je ne faisais pratiquement aucun effort et ne retombais sur mes deux roues que deux ou trois mètres plus loin. Nous étions dans la même classe au lycée et demi-pensionnaires pour s'éviter trop de trajets journaliers.
On ne quittait pas, tous les deux, on avait un peu les mêmes goûts, les pantalons pattes d'éléphant et les lunettes miroir bien avant de connaître "Easy rider". Pour rester sur une note cinéphilique, nos premiers films ensemble au cinéma furent "Le Messager" de Joseph Losey pourtant primé à Cannes et qu'on avait détesté alors qu'on avait adoré "Mash" de Robert Altman, "La fiancée du pirate" de Nelly Kaplan ou, encore plus sulfureux, le "J'irais cracher sur vos tombes" de Michel Gast, d'après Boris Vian, qui coïncidera curieusement avec la mort de notre auteur-phare, terrassé par la projection de l'adaptation calamiteuse de son œuvre.
Avec nos engins, pour saluer nos réussites au BAC, nous avons fait un jour une excursion jusqu'à Castres ou nous avons campé dans les chaos granitiques et mangé tant de raviolis froids en conserve que pendant des années la simple vue d'une boite me donnait la nausée. Et puis à la rentrée de septembre 1971, nos machines et nos routes se sont séparées, Vincent est rentré à la Fac au Mirail, à Toulouse, moi je quittais définitivement la Haute-Garonne pour la Fac de Luminy, à Marseille. Nous nous sommes longuement écrits pendant les années qui ont suivi. Je ne sais pas si lui continuait de se servir de sa mob mais la mienne était remisée chez mes parents sur la Côte d'azur. En 1973, je travaillais pendant les vacances chez Onet sur Marseille, je suis allé sortir ma BB de son Bois-dormant pour mes déplacements de laveur de vitres et j'ai eu un accident, un matin, place Sébastopol. Ce qui m'a définitivement convaincu de ne plus utiliser un deux roues pour mes transports usuels. La BB TS3 a été réparée et a regagné son port d'attache dans ma famille. L'histoire de mes amours mécaniques ne se poursuivra dorénavant qu'à quatre roues au moins.