"Mes déclencheurs de boulimie imagière" ou
"Donnez-nous aujourd'hui nos clichés quotidiens"
N°1 : Kodak Modèle
620 à soufflet Anastigmat 6x9 – 1953
Aussi loin
que je me souvienne, il y a toujours eu des appareils photos à la maison.
C'était ces appareils qui servaient à capter, presque exclusivement, les gens
de la famille que je retrouvais régulièrement dans les albums de photos. Il y
avait l'oncle Gilbert costumé en spahi, en centurion romain, mon père barbu et "emburnoussé"
comme un bédouin avec des chiens sur un tapis. Le grand père Frances dans
l'encoignure d'une fenêtre tenant ma grande sœur bébé avec une crête de cheveux
et notre cousine Lucette gamine. Maman jeune tenant l'un de nous au bras,
d'autres enfants, et toujours pleins de bébés, nus sur des buffets, dans des
poussettes, à vélo, à pied, à la plage… Bref, des albums comme il doit y en
avoir dans toutes les familles de ma génération avec trois à quatre images en
noir et blanc par page qu'on feuilletait avec délicatesse et qu'on finissait
par connaitre par cœur.
Mon père
avait un appareil magique, un Kodak à soufflet qui se repliait et se rangeait
dans un petit sac de cuir marron. Le collimateur du viseur se repliait
également avec un petit claquement de ressort. Magique je vous dis, comme un chapeau
claque ! C'était un objet précieux qu'on n'avait pas le droit de toucher seuls
mais on nous laissait parfois viser une photo potentielle. J'appris plus tard
que les négatifs étaient grands, du 6 x 9 cm, lorsqu'un autre appareil était
rentré dans la maison, un reflex 24 x 36 (mm) qui prenait des images en
couleurs et des diapositives. Les photos n'étaient plus réservées aux images de
personnes et les paysages faisaient leur show mais projetées sur un écran et non
plus dans les albums.
Dans le début des années 1970, alors que j'étais à la Fac
d'Arts Plastiques, à Luminy, et que nous commencions à prendre des cours de
photo avec Monsieur Finidori, je développais et tirais sur papier mes négatifs,
j'ai eu besoin d'utiliser un appareil personnel et mon père me prêta les siens
dont le Kodak à soufflet. Je n'ai jamais pris une seule photo avec parce que le
matériel de développement et les agrandisseurs du labo-photo ne permettaient
pas les tirages d'aussi grands négatifs. Le Kodak à soufflet est resté dans ma
chambre de Cité U, bien rangé dans son sac de cuir sur une étagère. La fin de
l'année arrivant, mes parents devaient venir me récupérer avec toutes mes
affaires un weekend. Pour ne pas payer un mois entamé de loyer pour un jour ou
deux, des copains qui habitaient au camping du Redon me proposèrent de
m'héberger chez eux. Proposition acceptée, mes parents vinrent me déménager
quelques jours après, depuis leur bungalow du camping. Tout a été récupéré sauf
le Kodak qui a été oublié dans un coin. Au milieu de l'été, lorsqu'on s'est
aperçu qu'il n'était pas revenu à la maison, j'ai appelé un des copains du
camping qui m'a dit qu'il avait bien trouvé cet appareil, qu'il ne savait pas à
qui il appartenait et qu'il l'avait déposé à tout hasard dans le labo-photo de
la Fac. Bien évidemment, à la rentrée suivante, la visite au labo-photo
confirmait mes craintes, quelqu'un de passage avait trouvé le bijou Kodak à
soufflet bien à son goût et l'avait adopté sans laisser de traces. L'appareil
de prestidigitateur s'était escamoté tout seul une ultime fois.
Anne-Marie sur un banc avec le Kodak à soufflet, Inkermann, 1953. |
La cousine Lucette et Grand-père Frances tenant Anne-Marie bébé, Miliana en 1950 ou 1951. |
Papa avec un appareil photo en mains, début des années 50. |
Bébé nu qui faisait déjà des ombres avec ses pieds, Inkermann, 1951 ou 1952. |